Intervention de l'amiral Christophe Prazuck au séminaire d'histoire maritime
Ce mardi 28 mars, le séminaire d'histoire maritime recevait l'amiral Christophe Prazuck, directeur de l'Institut de l'Océan, pour évoquer ses anciennes fonctions de chef d'état-major de la Marine (2016-2020).
Ce qu'un amiral du XXIe siècle peut dire aux historiens
Pour son intervention, l'amiral Christophe Prazuck avait retenu quatre points qui lui semblaient pouvoir intéresser les historiens de la marine :
- Le rôle des chefs militaires dans l'organisation du commandement des armées est révélateur de la place du militaire dans la société. La place du chef d'état-major de la marine (CEMM) indique comment la nation appréhende son destin maritime ;
- La place du CEMM dans la chaîne de commandement militaire révèle la stratégie militaire du pays. Par exemple, la fin de la Guerre froide a impliqué une transformation profonde de cette chaîne pour l'adapter au tempo rapide des OPEX ;
- La place du CEMM dans le commandement de la marine nationale, et l'importance et parfois les limites et les contraintes de la collégialité des décisions prises en concertations avec des acteurs très différents aux intérêts parfois divergents ;
- La responsabilité du CEMM dans la vie quotidienne des marins et sa capacité à faire le lien entre la Marine et le reste de la société, en somme donner du sens.
Amiral Christophe PrazuckDans une journée, le chef d'état-major de la marine passe sans arrêt du coq à l'âne !
Les défis du commandement
En présence d'une quarantaine d'auditeurs, l'amiral Christophe Prazuck a successivement évoqué le profil-type du CEMM, ses fonctions et attributions telles qu'elles sont définies dans le code de la Défense et telles qu'elles s'exercent en réalité. L'amiral Prazuck a également donné des éléments sur la vie quotidienne du CEMM, expliquant comment les décisions se nourrissent d'échanges avec les marins de tous grades, de son état-major, des ports et des bases, avec ses homologues étrangers, les industriels de l'armement, les parlementaires et les autorités politiques. Tout cela suppose donc aussi, en raison de l'amplitude de la mission, de passer sans arrêt du coq à l'âne. Il a souligné la nécessité de déléguer pour parfois au contraire imposer plus de verticalité quand les enjeux politiques sont élevés.
En conclusion, l'amiral C. Prazuck a énoncé les cinq défis auquel il a fait face en tant que chef d'état-major de la marine.
- Le nombre. C'est un défi singulier de tenter de faire comprendre ses objectifs lorsque l'on commande à 40 000 personnes. Assurer le ruissellement et la bonne transmission de la chaîne de commandement n'est parfois pas suffisant. Dans les moments de grande tension, il faut savoir communiquer directement vers les marins et leur famille (d'où nécessité de présence sur les réseaux sociaux aujourd'hui).
- Le CEMM dans le temps : il y a le poids de l'héritage, un outil naval qui est le produit de siècles d'histoire, des technologies à renouveler passés quarante ans, et il y a la vision que le CEMM doit proposer pour préparer les 40 prochaines années. Il y a dans la marine qu'il commande des navires qui ont été conçus il y a quarante ans, il doit choisir des navires qui seront toujours en service dans quarante ans.
- Trouver des compromis entre les différents acteurs impliqués dans le destin maritime de la nation, lesquels n'ont pas toujours les mêmes logiques (le court-terme est parfois l'ennemi de la projection dans le futur, les besoins industriels ne sont pas nécessairement ceux des opérationnels).
- Choisir ses points de vigilance personnelle : le CEMM n'est pas pas partout, il doit savoir déléguer, mais il doit aussi savoir s'impliquer personnellement dans les domaines qu'il estime sensible (ex de l'amiral C. Prazuck : le sort des blessés, la capacité de combat dans le futur, la place des femmes, le nucléaire).
- Le CEMM et la marine face aux crises politiques : les armées doivent veiller à garder une place neutre, se tenir à distance lors des crises, veiller à ne pas être instrumentalisé, assurer une constance de la discussion entre les officiers généraux qui peuvent avoir des regards différents sur les événements en cours. Ce qui semble une évidence réclame en vérité une vraie réflexion.
L'amiral Christophe Prazuck a laissé aux auditeurs une demi-heure pour poser leurs questions.